Si je trouve ridicule l'idée que j’essaierai de faire croire par ce blog que je suis capable de digérer 1500 disques par an et que j'imagine que c'est susceptible d'intéresser d'autres personnes que moi c'est surtout parce que c'est extrêmement facile d'écouter et de digérer des disques quand on en a le temps et l'habitude. Quand à la question de savoir si ça intéresse d'autres personnes, ce n'est pas mon problème. Je n'ai rien à vendre. Je reconnais néanmoins qu'écrire des chroniques de disques intéressantes et pertinentes est loin d'être facile dans la mesure où le contenu même des disques n'est pas verbal. La danse me semble une réponse bien plus appropriée qu'une chronique verbeuse et pleine de pathos grandiloquent. Je ne parlerais pas du bashing (lynchage médiatique) courant sur certains sites qui se veulent "critiques" sans en avoir le talent car ça ne ne serait pas très bienveillant. Dans la mesure où pour ma part la compréhension prime sur l'évaluation critique, la question du talent critique ne se pose pas me concernant. Plutôt que de chercher à faire croire que je peux digérer 1500 disques par an je préférerais faire croire que je suis capable de digérer 1500 livres de philosophie par an, ce qui, de mon point de vue, serait nettement plus glorieux. Je prends un peu d'avance sur l'année prochaine en commençant par celui-ci. Je considèrerais donc qu'il ne me reste plus que 1499 posts comme celui-ci à écrire avant 2016. Ce blog ne s'intéressera donc plus qu'à la philosophie. Bon je sais, je vous ai déjà fait le coup ici.
Si j'ai choisi ce livre c'est précisément parce que ce qui m'intéresse dans la tenue de ce blog c'est la dimension soma-esthétique de la musique. Soma désigne le corps en tant que corps sentant et agissant ce que l'on comprend très bien dans l'expression "somatiser". L'idée maitresse de Richard Shusterman c'est d'essayer de penser et de pratiquer une somatisation positive. Avoir une meilleure conscience de notre corps devrait nous aider à mieux vivre : "augmenter nos connaissances, améliorer notre agir et intensifier nos plaisirs."Pourquoi esthétique? simplement parce le moyen d'action pour vivre mieux passe par une attention accrue à notre sensibilité c'est à dire aux cinq sens. Pourquoi et comment ? c'est tout l'enjeu du texte qui passe par une discussion avec six auteurs qui se sont intéressés à la question du corps en tant que corps pensant : Michel Foucault, Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir, Wittgenstein, William James et John Dewey.
Je ne vais pas faire un compte rendu détaillé ni une dissertation seulement dégager les idées que je retiens pour moi même.
Soma-esthétique et souci de soi
Je retiens du premier chapitre sur Foucault qu'il peut être intéressant d'étudier "comment le corps est modelé par le pouvoir et employé comme un instrument servant à le maintenir, ou comment les normes culturelles touchant à la santé, à la beauté, aux compétences et même à nos catégories de sexe et de genre sont construites de façon à refléter et à maintenir les forces sociales existantes". Pour Shusterman, il peut être encore plus intéressant d'agir en proposant de nouvelles normes et des méthodes d'amélioration somatique dans une logique critique et comparative. Il n'est pas question de rejeter le body-building au profit de l'Hatha Yoga sans en passer par une critique des mérites comparés. On trouvera également une critique qui ne manque pas de piquant par Shusterman du sadomasochisme défendu par Foucault dans cette même logique comparative au profit d'érotiques "tout aussi créatives" avec "des méthodes plus douces" pour des plaisirs aussi intenses. "La musique que l'on goûte avec le plus d'intensité n'est pas celle que l'on écoute au plus fort volume sonore. Un doux frôlement peut produire un plaisir plus puissant qu'une caresse brutale." N'ayant jamais testé les caresses brutales, je ne saurais dire si Shusterman à raison... Il ne prétend pas avoir testé lui-même mais il trouve chez Foucault de quoi affirmer qu'une hyperstimulation des sens répétée conduit inévitablement à l'anhédonie. En ce qui concerne la musique j'en tendance à penser que pour éviter l'anhédonie il peut être judicieux de varier les plaisirs aussi dans leur intensité. Mais je retiens l'idée qu'il vaut mieux augmenter sa sensibilité que la stimulation.
Silence du corps
Je ne retiens pas grand chose du chapitre sur Merleau-Ponty si ce n'est une attention particulière au caractère muet de la pensée propre au corps. J'ai souvent l'impression que pendant Zazen c'est l'attention muette et permanente portée au corps, à la respiration mais aussi à la posture qui permet de calmer les pensées et d'y voir plus clair ensuite sans que cela passe ni par un flux de pensées ni par un discours. Le propos de Shusterman est ici au contraire de dire qu'il est possible d'étendre nos pouvoirs corporels au moyen de la réflexion et du contrôle conscient explicite. Je dois ajouter ici que Shusterman est également un praticien de la méthode Feldenkrais et que tout son travail en tant que praticien consiste à corriger des mauvaises postures implicites acquises par de mauvaises habitudes. Il lui faut expliquer patiemment et verbalement à son patient ce qui ne va pas tout en le manipulant. Dans un temple Zen, lorsque quelqu'un n'a pas la bonne posture ou ne fait pas ce qu'il faut dans les rituels par exemple, ceux qui savent montrent aux autres en silence. La verbalisation explicite n'est pas, à mon avis, toujours indispensable.
Genre et vieillissement chez Simone de Beauvoir
Je me sens assez peu concerné par les questions portant sur le genre même si c'est effectivement un sujet intéressant dans nos sociétés. Étant désormais trop vieux pour mourir jeune, je me sens davantage concerné par la question du vieillissement. Même si cela peut sembler d'une affligeante banalité je retiens l'idée qu'il existe un grand nombre de moyens pour ralentir les effets néfastes du vieillissement et qu'il n'est jamais ni trop tôt ni trop tard pour s'en préoccuper. Toute la difficulté c'est d'articuler action collective et action individuelle, attention portée à l'instant présent et au potentiel long-terme d'une existence. Il me suffit de comparer l'absence de joie sur les visages des personnes âgées dans les maisons de retraite de luxe avec l'épanouissement lumineux de celles qui résident dans le centre-intergénérationnel au confort spartiate dans lequel j'ai passé une semaine cet été et où j'espère bien finir mes jours... Être un homme ou une femme et mal vieillir serait loin d'être une fatalité.
Le soma-esthétique de Wittgenstein
Le chapitre sur Wittgenstein rejoint mes préoccupations sur le caractère indicible de l'expérience esthétique. "La musique tire son indicible profondeur de signification, son grand et mystérieux pouvoir du rôle silencieux du corps, sol créatif et arrière plan intensifiant". Shusterman pense alors le corps sur le modèle de l'instrument de musique "cet instrument des instruments" que nous devrions apprendre à connaitre et à utiliser. Il tire, à partir des réflexions de Wittgenstein sur l'antisémitisme, des conséquences sur le plan éthique. L'antisémitisme et l'homophobie serait la résultante de sentiments corporels viscéraux lié à un mauvais apprentissage du corps. Cet apprentissage du corps serait lui même lié à l'Histoire notamment celui des religions qui sont dans une logique de pureté du corps. Contre cette logique de pureté viscérale, Shusterman propose de prendre somatiquement conscience que notre constitution corporelle "est un mélange impur"
La philosophie somatique de William James
De ce chapitre je retiens la pertinence de la pratique de l'introspection somatique dans le jargon de la pleine conscience on appelle ça le scan corporel mais ce n'est pas toujours évident d'en comprendre l'intérêt. Shusterman semble dire que c'est ce type de pratique en particulier qui permet d'augmenter la conscience que nous avons de notre corps et d'en augmenter le potentiel. Shusterman reproche à James de ne pas avoir transformé la théorie en pratique. James avait sans doute peur qu'une sensibilité corporelle "hyperesthétique" abaisse notre "seuil de douleur". Shusterman ne répond pas vraiment à cette objection. Il vaudrait mieux se tourner vers Jon Kabat-Zinn, il y a tout un chapitre dans Au coeur de la tourmente, la pleine conscience, sur le scan corporel qui explique que le scan corporel permet d'évacuer les douleurs en prenant conscience de l'unité de son corps et de sa non identité avec la douleur. C'est curieux mais cela semble marcher. De même il est curieux que James reconnaisse les bienfaits de l"hatha Yoga à partir d'une correspondance épistolaire sans le pratiquer lui-même d'où un certain aveuglement sur le sujet. Shusterman en profite pour ajouter :"Ma propre expérience de la formation zen au japon m'a montré... peut aussi développer la capacité de volition..." C'est donc à partir de sa propre expérience qu'il conteste l'idée de la dimension immatérielle de la volonté et à partir de la biographie de James, les principaux manques.
La philosophie du corps-esprit de John Dewey
Alors que chez James, la liberté de la volonté reposait sur un postulat, chez Dewey c'est bien "la conscience de fins rivales et de la réflexion que cette situation appelle qui est la liberté" affirmant ainsi "la réalité du choix tout en reconnaissant le caractère conditionné de ce dernier". Ce que ne dit pas Shusterman c'est que ce que l'on expérimente dans la méditation en tant que pratique introspective c'est la prise de conscience de ses conditionnements et c'est ce qui permet de s'en affranchir. On pourra toujours m'objecter que c'est ce que propose la psychanalyse. Objection à laquelle je répondrais que la psychanalyse repose sur un primat du verbe. Sans le langage, la psychanalyse est un non sens or la méditation est silencieuse. Je ne nie pas que ce qui apparait à la conscience pendant la méditation peut être de nature verbale et langagière. Je dit seulement que l'objectivation verbale est loin d'être suffisante pour être efficace. Je pense que dans la méditation il y a un primat du voir au sens de sentir. Ce "sentir" précède la pensée. On retrouve la même idée chez Levinas dans la dichotomie Dire/dit. Je ne vois pas la différence entre le "Dire" Levinassien et le "tréfonds de la non-pensée" que l'on trouve chez Dogen.
Ce qui incita Dewey à prêter une attention particulière aux conditionnements qui relève davantage du corps silencieux que du langage c'est sa rencontre avec F. M. Alexander. Il serait trop fastidieux d'expliquer en quoi consiste la méthode Alexander disons qu'il s'agit d'une méthode visant à corriger nos mauvaises habitudes corporelles. Je retiens de la méthode Alexander le rôle important que joue l'inhibition dans la prise de nouvelles et bonnes habitudes et l'attention portée aux moyens en vue d'atteindre une fin. Shusterman souligne les dérives possibles d'une pensée uniquement attaché au perfectionnisme corporel ethno et égo-centré ("la marque d'un individualisme étroit et orgueilleux") d'Alexander au profit d'un pluralisme méthodologique dépendant d'une interaction avec les autres.
Conclusion
"Cette vision du corps symbiotique devrait susciter une plus grande reconnaissance de ces autres (humains et non-humains)" Voilà donc un livre qui ne déplairait pas à Mathieu Ricard. Hihihi
J'ai pour ma part découvert la pensée de Richard Shusterman en 1995 à l'Université de Provence alors que je suivais les cours de Jean-Pierre Cometti. C'est curieux de voir une convergence s’effectuer en une vingtaine d'années entre des univers qui me semblaient inconciliables il y a vingt ans, entre la philosophie analytique (Wittgenstein), le pragmatisme (James , Dewey), la philosophie continentale (Foucault, De Beauvoir), la philosophie d'origine juive (il cite une maxime hébraïque) et la philosophie bouddhiste (il cite Bouddha) et le bouddhisme Zen (il cite Dogen). Il est donc bien agréable de voir qu'il est possible de concilier ces différents courants de pensée et d'en tirer partie. Mais il faut également oublier le lettre pour s'en tenir à l'esprit, comme le dit très bien Dogen :
"Vous devez abandonner une pratique fondée sur la compréhension
intellectuelle courant après les mots et vous en tenant à la lettre.
Vous devez apprendre le demi-tour qui dirige votre lumière vers
l’intérieur pour illuminer votre vraie nature. Le corps et l’esprit
d’eux-mêmes s’effaceront, et votre visage originel apparaîtra."
Y a qu'à...
Philosophie contemporaine, éthique et pragmatisme, zen, aux Éditions de L’Éclat, Paris, 2007.
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